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OLAUDAH  EQUIANO 2ème PARTIE

"UNE MULTITUDE DE GENS NOIRS... ENCHAÎNÉS ENSEMBLE"

Olaudah Equiano nous raconte de façon très vivante le choc et l'isolation qu'il a enduré durant le "Middle Passage" (le passage du milieu), c'est-à-dire la traversée entre l'Afrique et l'île de La Barbade aux Antilles. Il avait très peur que les négriers européens le mangent.

Leur teint, si différent du nôtre, leurs cheveux longs et la langue qu'ils parlaient étant si différente de toutes celles que j'avais entendu jusqu'à maintenant que tout cela renforçait cette croyance. En vérité, voila comment toutes ces horreurs apparaissaient à ma vue et j'avais si peur à ce moment que si dix mille mondes avaient été à moi, je les donnerais volontiers ainsi que tout ce que je possède pour changer de place avec le plus misérable esclave de mon pays. Quand je visitai tout le bateau et que je vis un fourneau en cuivre brûlant et une multitude de gens noirs de toutes sortes enchaînés ensemble, chaque visage exprimant le malaise et le chagrin, je n'eus plus aucun doute sur mon sort. Totalement envahi par l'horreur et l'angoisse, je restai paralysé et je m'évanouis sur le pont. Quand je revins à moi, je vis quelques gens noirs autour de moi et je crois que quelques uns étaient ceux qui m'ont amené à bord et qui avaient reçu un salaire. Ils me parlèrent dans le but de me réconforter mais ce fut en vain. Je leur ai demandé si nous allions être mangés par ces hommes blancs, à l'air horrible avec leur visage rouge et leurs longs cheveux. Ils me dirent que non.

Je sentis quelque chose dans ma bouche, qui, au lieu de me raviver comme ils voulaient le faire, me remit dans la plus grande consternation avec l'étrange sensation que cela produit, n'ayant jamais goûté à un tel alcool auparavant. Aussitôt après cela, les Noirs qui m'avaient amené à bord s'en allèrent et me laissèrent à mon désespoir.

Je compris alors que je ne retournerai plus jamais dans mon pays natal et je n'avais même plus l'espoir de pouvoir gagner la rive qui me paraissait si belle. J'aurais même souhaité pouvoir rester dans la situation où j'avais été auparavant plutôt que dans celle où je me trouvais maintenant confronté à des horreurs de toutes sortes.

Là, je reçus en même temps, en guise de salutation, le caractère répugnant de la puanteur dans mes narines et des pleurs comme jamais auparavant dans ma vie. Je devins si malade et si faible que j'étais incapable de manger ni même d'avoir le moindre désir de goûter à quelque chose. Maintenant, je ne souhaitais plus que la mort comme dernière amie pour être soulagé. 

Bientôt, pour mon malheur, deux des hommes blancs m'offrirent des comestibles et à mon refus, l'un d'eux me saisit vite par les mains et m'allongea en travers du guindeau et lia mes pieds pendant que l'autre me flagellait sévèrement. Je n'avais jamais vécu une chose pareille auparavant. Si je pouvais passer par-dessus les filets, je pourrais sauter sur le côté, mais je ne pouvais pas le faire. L'équipage devaient surveiller de près ceux d'entre nous qui n'étaient pas enchaînés sur les ponts, de crainte que nous plongions dans l'eau. J'avais vu quelques pauvres prisonniers africains être grièvement blessé pour avoir essayé de le faire et ensuite fouettés toutes les heures pour refuser de manger. En vérité, ceci a été souvent le cas pour moi.

J'ai demandé à ceux-ci ce qu'on allait faire de nous. Ils me firent comprendre que nous étions transportés dans le pays des Blancs dans le but de travailler pour eux. Mon moral fut meilleur ensuite et je pensai que s'il n'y avait pas moins bien que le travail, ma situation n'était pas aussi désespérée. Mais toutefois, j'avais encore peur que l'on me mette à mort, les Blancs avaient l'air et agissaient de façon si sauvage. Je n'avais jamais vu parmi mon peuple autant de cruauté et de brutalité et ceci, pas seulement à l'égard de nous les Noirs, mais aussi envers les Blancs eux-mêmes. Une fois, quand nous avions été autorisés à être sur le pont, j'ai vu un homme blanc en particulier, être fouetté si cruellement avec une grosse corde et retourné sur son côté lacéré par la brute, près du mât de misaine, qu'il en mourut. Après ceci, j'avais encore plus peur de ces gens et je m'attendais à être traité de la même manière.

Je leur ai demandé:(aux prisonniers africains) << Et si ces gens n'avaient pas de pays, mais vivaient dans cet endroit creux?>> Ils me répondirent que cela ne se pouvait pas; ils venaient d'une terre lointaine. Comment, dis-je, se fait-il que dans tout notre pays, nous n'ayons jamais entendu parler d'eux?

Ils me dirent que c'était parce qu'ils vivaient extrêmement loin de notre pays. Je leur ai demandé ensuite où pouvaient être leurs femmes. Étaient-elles comme eux? Ils répondirent affirmativement. Pourquoi ne les voit-on pas, je demandai. Ils répondirent: parce qu'ils les ont laissé chez eux.

Je demandai: comment le vaisseau se déplaçait-il? Ils me dirent qu'ils ne pouvaient pas l'expliquer, mais il y avait des toiles dans les mâts qui, avec l'aide des cordes que j'ai vu, faisaient avancer les vaisseaux et les hommes blancs avaient une formule ou une magie qu'ils mettaient dans l'eau quand ils voulaient que le bateau s'arrête.

J'étais extrêmement stupéfait de cela et je pensais réellement qu'ils étaient des esprits. Donc, par conséquent, je souhaitais beaucoup être ôté de la présence de ces gens parce que je m'attendais à ce qu'ils me sacrifient. Mais mes souhaits étaient illusoires, car nous étions si cantonnés qu'il était impossible de nous évader. 

Enfin, quand tout le monde avait embarqué sur le bateau sur lequel nous étions, que nous fûmes tous descendus sous le pont, qu'ils eurent apprêté le départ du bateau en faisant des bruits épouvantables, nous ne pûmes voir comment ils manœuvraient le vaisseau.

L'odeur nauséabonde de la cale, bien que nous étions à la côte, était si intolérablement répugnante, qu'il était dangereux de demeurer là quelque temps... quelques uns parmi nous ont été autorisés à rester sur le pont pour prendre l'air. Mais maintenant que le chargement entier du bateau était rassemblé sur le pont inférieur, c'était devenu pestilentiel. Le manque d'air de l'endroit et la chaleur du climat ajoutés au grand nombre de personnes sur le bateau nous asphyxiaient presque. Le vaisseau était si bondé que chacun avait à peine la place de se tourner sur lui-même. 

Ceci faisait transpirer abondamment si bien que l'air devint impropre à la respiration avec toute une variété d'odeurs nauséabondes et apportait une maladie parmi les esclaves dont plusieurs en moururent. Ainsi tombaient les victimes de la cupidité imprévoyante, comme je peux l'appeler, de leurs acquéreurs. Cette situation misérable était encore aggravée par les blessures, causées par les fers, devenant maintenant insupportables et les enfants tombaient souvent dans les seaux hygiéniques (toilettes) et ceux-ci manquaient de suffoquer dans les immondices. Les hurlements des femmes et les gémissements de l'agonisant rendaient cette scène d'horreur presque inconcevable.

Heureusement peut-être pour moi, je devins bientôt si faible qu'il était nécessaire de me garder presque toujours sur le pont et en raison de mon extrême jeunesse, je ne fus point mis aux fers. Dans cette situation, je m'attendais à chaque moment à partager le sort de mes compagnons, quelques uns parmi eux étaient presque quotidiennement amenés sur le pont en train de mourir et je commençais à espérer que la mort pour moi aussi mettrait un terme à ma souffrance. Combien de fois ai-je pensé que beaucoup d'habitants de l'océan étaient plus heureux que moi. Je les enviais pour la liberté qu'ils avaient et combien de fois ai-je souhaité changer ma condition avec la leur. Ces pensées ressassées ne servaient seulement qu'à rendre mon état plus douloureux, augmentaient mes appréhensions et avivaient mon opinion sur la cruauté des Blancs.

Un jour, alors que nous avions une mer peu agitée et un vent modéré, deux de mes compatriotes affaiblis qui étaient enchaînés ensemble (j'étais près d'eux à ce moment), préférant la mort plutôt qu'une telle vie de souffrance, passèrent à travers les filets, je ne sais comment et sautèrent à la mer. Immédiatement, un autre camarade complètement déprimé, qui, en raison de sa maladie n'était pas aux fers, suivit leur exemple. Je crois que beaucoup plus de captifs, dans la foulée, auraient fait de même s'ils n'avaient pas été retenus par l'équipage du bateau immédiatement alerté. Ceux d'entre nous qui étions les plus vigoureux furent descendus en vitesse sur le pont inférieur et il y eut un tel bruit et une telle confusion parmi la cohue du bateau, comme je n'en avais jamais vu auparavant, pour l'arrêter et envoyer chercher les esclaves à la mer. Cependant, deux des malheureux étaient noyés mais il en récupérèrent un qui fut flagellé sans pitié pour avoir préféré la mort à l'esclavage. 

Je peux maintenant raconter les épreuves vécues qui sont inséparables de ce satané commerce. Souvent, nous étions tous ensemble toute la journée, près de suffoquer par manque d'air frais. Ceci et l'odeur nauséabonde des seaux hygiéniques en emportaient plusieurs.

Extrait de: "The interesting narrative of the life of Olaudah Equiano or Gustavius Vassa the African" Londres, 1789. Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Pazzoni.

OLAUDAH  EQUIANO  3 ème PARTIE

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